Les diasporas, des acteurs d'influence globale
Le terme « diasporas », de plus en plus courant dans les recherches en sciences sociales ainsi que dans les domaines culturels et artistiques, révèle en réalité une complexité bien plus grande qu'on pourrait l'imaginer. En explorant les phénomènes migratoires, il m'a semblé essentiel de m'intéresser à ces acteurs qui reconfigurent les relations entre les États, afin de comprendre comment les migrations influencent au-delà de la sphère individuelle, en poussant les États et les organisations à adapter leurs décisions politiques.
✍️ Hanna Chmourrane, stagiaire chez Komune Média
Une notion en pleine évolution
À l'origine, le terme « diasporas » désignait principalement les minorités religieuses vivant au sein d'autres peuples, en particulier la communauté juive. Ce concept n'était donc pas directement lié aux phénomènes migratoires. Par ailleurs, les communautés migrantes ne s'approprient pas cette notion, car le lien avec le pays d'origine n'est ni exploré ni valorisé. De ce fait, elles ne se reconnaissaient pas dans le terme de diaspora, ce sont les chercheurs qui, par la suite, attribueront cette appellation à ces groupes.
Dans les années 1950-1960, dans un contexte d’essor de la mondialisation et d’identités davantage transnationales, la connotation religieuse du terme s’efface définitivement pour laisser place au sens que les sciences sociales lui donnent de nos jours.
Pourtant, l’idée de diaspora n’est ni nouvelle, ni unique.
Les premiers groupes de diasporas remontent au 7e siècle avant J. - C. en Grèce ancienne. Ces populations grecques disposent bien d’une culture commune et d’un lien étroit avec la patrie d’origine, mais il s’agissait pour elles du fait de « s’en aller loin de la patrie ». Elles parlaient alors "d'apoika" et non de « diasporas » qui correspondaient davantage à une idée de dispersion.
Pour les communautés juives, le terme diaspora ne faisait pas usage, mais plutôt celui de « galuth », signifiant « exil ». Loin de l’idée de dispersion, l’exil entendu par cette communauté disposait d’une valeur sacrée : Dieu mettrait fin à cet exil en réunissant de nouveau son peuple. Repris par les communautés chrétiennes ayant quitté leurs domiciles, la sacralisation de l’exil a participé à la légitimation de l’existence du groupe et donc à sa formation.
Durant le 19e siècle, ces groupes tentent dorénavant de marquer leur lien avec l’État ou la Nation d’origine afin d’en attendre en retour une protection. Il s’agit donc d’un premier abandon du cadre religieux.
L’époque contemporaine avec son nombre croissant de vagues migratoires renforce l’acception sociale et politique de la diaspora. Le développement des nouvelles technologies de communication et de transport ainsi que le déclin des identités nationalistes ont facilité le domaine des sciences à établir de nouvelles observations sur les réalités migratoires. Plus certaines réalités faisaient l’objet d’études et de concepts, plus les définitions devenaient populaires et les groupes migratoires se les réapproprient. Ceci s’explique également par le développement des Relations Internationales, comme sujet d’étude, qui entendent expliquer les enjeux de pouvoir interétatique par une triple perspective : celle du pays d’origine, du groupe de migrants et enfin du pays d’accueil.
Aujourd’hui, l’emploi de ce terme, de plus en plus courant, renvoie également à une volonté politique voire militante pour consolider le lien réel ou fictif avec le ou les pays d’origine. C’est au sein de luttes identitaires que la reconnaissance des diasporas peut parfois remplir un rôle de cohérence visant à crédibiliser une vision critique des réalités migratoires.
Aux États-Unis, l'utilisation des termes « African-American » ou « diaspora africaine » ou « noire » vise à rétablir le lien avec les origines de ceux qui en avaient été privés. En reconnaissant la migration forcée des esclaves noirs, l'héritage culturel et religieux partagé par cette population est valorisé, contribuant ainsi à la restauration partielle de leur dignité.
Aujourd’hui, les diasporas sont de réels acteurs impactant les scènes de compétition de pouvoir. Selon leur importance et leurs ressources, ces dernières peuvent participer à l’action publique de leurs pays : allant parfois à la simple valorisation du rayonnement culturel à la détermination des politiques intérieures ou étrangères.
Une stratégie diplomatique renouvelée
Malgré les efforts des Nations Unies et particulièrement du Programme au développement des Nations Unies, il n’existe pas de gouvernance mondiale des migrations1. Ainsi, pour contrôler et dissuader les migrations irrégulières, seuls les accords bilatéraux effectués entre les pays de départ et d'accueil constituent un cadre légal. Par ces accords, les États tentent, donc, de garder le lien avec leurs populations ressortissantes.
Ce phénomène est davantage observable dans les pays disposant du droit du sang, en raison d’une volonté plus profonde de préserver un imaginaire familial et ancestral porté sur les ethnies vivant sur leur territoire. Ainsi, en reconnaissant le pouvoir tenu par les diasporas au sein des pays d’accueil, ces états mettent en place une sorte de coopération dépassant le cadre des politiques régaliennes et des logiques classiques des relations interétatiques.
On parle alors de diplomatie informelle.
Alors que la diplomatie formelle, autrement nommée diplomatie consulaire, tend avant tout à protéger et à assister juridiquement ses citoyens vivant à l’étranger ; la diplomatie des diasporas tend, quant à elle, à promouvoir les intérêts politiques ou économiques des États à travers les populations migrantes. Il reste cependant à noter que cette compétition d’influence doit s’observer comme un jeu à double vitesse. À la fois, les diasporas sont un outil remarquable utilisé par le pays d’origine et le pays d’accueil, mais les diasporas usent également de leur position pour influencer à leur tour les États. En concevant des réseaux d’activismes politiques pour renforcer leurs droits et leurs libertés et ceux, par écho, des populations respectives de leurs pays, elles participent directement à la définition des politiques publiques. Entre autres, l’Irish republican Brotherhood, issu des diasporas irlandaise vivant à Dublin et à New York, a joué un rôle décisif dans la libération de l’Irlande du joug britannique.

Qu’il s’agisse de diplomatie « par » les diasporas ou « au travers » des diasporas, ces formes de diplomaties actives et passives sont souvent utilisées en complémentarité.
Finalement, ces diasporas témoignent d’un changement drastique de la gouvernance internationale et parfois même locale.
À ce sujet, la Ville de Paris en prenant conscience de cet enjeu, à l’occasion du Colloque du 18 mai 2024 : Diaspora et Diplomatie des villes, a voulu étendre sa réputation de ville-monde et inclusive, en définissant différentes stratégies d’inclusion des diasporas. C’est dans un premier temps, par les investissements économiques et par le plaidoyer que la ville de Paris entend favoriser les démarches des diasporas et leur donner une voix.
L’objectif est de transnationaliser les politiques des collectivités locales, qui en France dispose d’une liberté d’administration, de s’influencer réciproquement, pour que les grandes villes du monde puissent se rassembler et affirmer des liens d’unité et de diversité en dehors du cadre étatique.
Pour le maire de Douala au Cameroun, Roger Mbassa Ndine, présent lors du Colloque, ces événements renforcent la communication entre les capitales du monde et leurs diasporas. Il s’agit alors d’une opportunité pour « lancer un appel pour faire passer des messages ».
En reliant les différentes nations entre elles, les diasporas contribuent à redéfinir la citoyenneté. Cette notion, influencée par la migration, ne se limite plus à son cadre traditionnel. Les migrants, engagés dans les politiques des pays, parfois même dans les élections des deux pays, ou motivés par la promotion du multiculturalisme, ont élargi la portée de la citoyenneté au-delà des frontières nationales en créant une double présence2. En remettant en question le concept d'appartenance, les diasporas, par leur dualité, ont renforcé la dimension participative de la citoyenneté, semblable à celle de 1789 en France. En Italie, depuis 2001, les citoyens résidant à l'étranger peuvent désormais prendre part aux élections par un vote en correspondance, ou en communiquant sont choix par un écrit dédié au consulat.
« Ce qu’on appelle immigration, et dont, on traite comme telle en un lieu et une société, s’appelle ailleurs, en une autre société ou pour une autre société, émigration. Ainsi que deux faces d’une même réalité, l’émigration demeure l’autre versant de l’immigration, en laquelle elle se prolonge et survit, et qu’elle continuera à accompagner aussi longtemps que l’immigré, ce double de l’émigré, n’a pas disparu (…). » - Abdelmalek Sayed, L’immigration ou les paradoxes de l’altérité, l’illusion du provisoire. (1991)
Il apparaît alors indispensable pour les Etats de prendre en compte les migrations et particulièrement les diasporas pour penser les nouvelles dynamiques de la scène internationale.
Un outil précieux de crédibilité politique
Les diasporas ne disposent pas toujours d’une conscience d’entre-soi. Au contraire, il arrive que l'État soit à l’origine de leur propre définition et de leur segmentation. Conscient du potentiel croissant des diasporas, certains n’hésitent pas à les instrumentaliser pour justifier ou renforcer leur politique extérieure. Sur le plan économique également, les diasporas sont une réelle source de richesse.
La Chine qui dispose de la plus grande diaspora à l’échelle mondiale illustre parfaitement ces États qui ont pris conscience que leurs premiers alliés pouvaient être leurs ressortissants. Avec près de 50 millions de personnes, devant l’Inde, dispersées dans une centaine de pays en Asie du Sud-Est, en Europe et en Amérique du Nord, les différentes diasporas chinoises agissent pleinement dans l’intérêt de la puissance chinoise. Alors qu’au début du 20e siècle, le pouvoir communiste considérait les diasporas comme des « traîtres », elle constitue aujourd’hui, un atout économique et culturel considérable, légitimant ainsi les politiques chinoises. En outre, en 2014, Xi Jinping parlait de « grande famille chinoise ». En effet, depuis les années 1980, cette population d’origine chinoise à l’origine de près de 75 % des investissements chinois depuis l’étranger, est à la source de la majorité du développement du pays.
Loin d’une exception, d’autres États émergents, depuis la fin du 20e siècle, investissent dans leurs diasporas pour soutenir leur développement et leur "soft power". Qu’il s’agisse d’infrastructures culturelles, d’ouverture des frontières à l’occasion d’échanges universitaires, ou d’événements de commémorations historiques, des pays comme le Maroc, l’Algérie, les Philippines ou l’Azerbaïdjan développent des politiques ambitieuses pour renforcer leur lien avec leurs ressortissants.
À ce sujet, l’Azerbaïdjan dispose d’une politique diasporique singulièrement importante.
En effet, depuis le début des années 2000, dans un contexte de conflit avec l’Arménie au Haut Karabagh, l'État n’hésite pas à renforcer sa position internationale en s’appuyant sur l’influence de ses différentes diasporas. C’est en transformant ses ressortissants en “groupes de pression” que les diasporas ont fait l’objet d’une politique pleinement institutionnalisée.
L’intérêt porté à ces groupes de migrants n’est pas récent. Dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une politique systématique de définition de caractéristiques communes est mise en œuvre. Son but était de reconnaître et de délimiter les populations azéries situées en Iran et en Turquie.
En août 1991, la république d’Azerbaïdjan accède à l’indépendance, cependant les tensions présentes entre les communautés arméniennes et azéris vivant la région du Sud-Caucase débouchent au conflit du Haut-Karabagh. Malgré la signature d’un cessez-le-feu avec l’Arménie en 1994, l’absence de résolution joue en défaveur de l’Azerbaïdjan. Selon les autorités azerbaïdjanaises, ce contexte s’explique par le fait que la France, la Russie et les États-Unis soutiennent la position arménienne. En conséquence, les diasporas arméniennes, qui influencent le soutien de la France et des États-Unis, poussent l'Azerbaïdjan à tenter de renverser les rapports de force en mobilisant à son tour ses propres diasporas.
Dès le début du 21e siècle, les populations azéries installées à l’étranger sont reconnues comme « Azerbaijan Diasporu » (la diaspora azerbaïdjanaise) et font l’objet de Congrès et d’organisations ayant pour but de renforcer les liens en faveur de Bakou et de son développement économique et politique.
De plus, Ilham Aliyev, actuel président, par un décret de décembre 2007, a instauré un jour férié en l’honneur de la solidarité des Azerbaïdjanais du monde. Pour renforcer la propagande, un site web et une revue intitulée « Le journal de mon pays » ( « oklem jurnali ») ont été créés. De plus, divers événements et manifestations issus d’organisations azerbaïdjanaises opposent les mémoires des pays, en particulier en mettant en concurrence le « génocide de Khodjaly » au génocide arménien.

Ce cas précis expose comment un Etat peut décider de constituer ses diasporas pour en faire un outil politique. Ainsi, toutes les diasporas n’existent pas forcément par elle-même, mais bien par la volonté de leurs Etats, ce qui justifie l’essence précisément politique et militante de ce terme. En saisissant les réalités migratoires actuelles et en nous questionnant sur la pertinence des méthodes régaliennes et coercitives sur la scène mondiale, il apparaît finalement nécessaire de mettre en lumière le rôle croissant des individus sur la scène internationale pour ne plus observer ses dynamiques par une seule focale institutionnelle.
Si vous souhaitez approfondir ce sujet, nous vous invitons à vous rendre au vernissage « ERRANCE » de l’artiste Xemes Gueye, organisé par We make Monette, qui prendra lieu au 6 rue de Tracy, 75002, Paris, ce mercredi à partir de 18h.
L’artiste questionnant sa double identité sénégalo-guadeloupéenne, nous invite à déconstruire les frontières - à la fois mentales et physiques - cherchant à transcender le poids des identités multiples pour y trouver une essence universelle.
Les migrations internationales : Une question globale, Citoyenneté et migration, Catherine Wihtol De Wenden - CERI CNRS/SciencesPo- Coursera, 2015.
Ibid