Les violences administratives vécues par les étudiant.es étranger.es en France
Je m’appelle Nesrine Bourekba et je suis journaliste stagiaire pour Komune Média.
Ayant un vif intérêt pour de nombreux sujets, notamment ceux liés aux discriminations, qu’elles soient en rapport avec le genre, la religion, l’appartenance ethnique ou encore la situation administrative, je m’efforce de mettre en lumière ces problématiques. Aujourd’hui, on va parler d’une catégorie de personnes qui sont ciblées par de nombreuses discriminations : les etudiant.es étranger.es. Et pour parler de ces étudiant.es on va traiter des violences administratives auxquelles ils peuvent faire face.
✍️ Nesrine Bourekba, journaliste stagiaire chez Komune Média
En 2022-2023, la France comptait 412 087 étudiants étrangers inscrits dans son enseignement supérieur, représentant 14 % de l’ensemble des étudiants. Cette progression de 3 % sur un an et de 17 % sur cinq ans montre que l’Hexagone reste une destination privilégiée pour les étudiants internationaux, se maintenant à la sixième place mondiale des pays d’accueil. Toutefois, derrière ces chiffres flatteurs se cache une réalité moins reluisante : celle des violences administratives qui viennent entraver leur parcours.
Étudier en France peut sembler être une opportunité unique pour ces étudiants, mais l’expérience est souvent marquée par des démarches complexes et une précarité accentuée par leur statut administratif. À travers les témoignages d’étudiants comme Santiago, un Colombien en master de traduction à Dijon, Isadora, une Brésilienne de 24 ans, étudiante en journalisme à Lyon, ou encore Sarah, une étudiante algérienne de 25 ans en quatrième année de médecine, nous explorons les défis auxquels ils sont confrontés, des démarches pour obtenir un visa jusqu’à la lutte contre une bureaucratie parfois kafkaïenne.
Une précarité amplifiée par le statut d’étranger
Les étudiants étrangers ne sont pas épargnés par la précarité étudiante en France. Ils cumulent souvent plusieurs handicaps : le coût élevé des études et de la vie, des difficultés d’accès aux aides sociales comme la CAF, et des obstacles à l’obtention d’un emploi en raison de l’absence de titre de séjour ou de récépissé. Selon une étude récente, plus de 60 % des étudiants étrangers déclarent avoir rencontré des problèmes financiers pendant leur séjour en France. Cette situation est aggravée par les délais et les incohérences des administrations, plongeant nombre d’entre eux dans une anxiété constante.
Mais ce n’est pas tout. Le statut d’étudiant étranger vient avec une série de contraintes administratives complexes et souvent déstabilisantes. Beaucoup d’entre eux sont confrontés à des exigences contradictoires, des formulaires interminables, des attentes sans fin, et des décisions administratives prises par la Préfecture sans explications claires.
Des démarches complexes et une administration lente
Pour beaucoup, les démarches commencent bien avant leur arrivée en France. Theodora, par exemple, a dû passer par Campus France, une plateforme censée centraliser les démarches des étudiants étrangers. "C’est une procédure très bureaucratique. Il fallait déposer tous mes documents en ligne, attendre une validation, puis obtenir un visa. Le tout a pris plusieurs mois," explique-t-elle. Bien que rapide dans certains cas, cette procédure est loin d’être uniforme. Les attentes varient en fonction des pays d’origine, des types de visa et de la complexité du dossier.
Pour Santiago, qui a initialement obtenu un visa de travail en tant qu’assistant de langue, la reconversion vers un statut étudiant a été un véritable casse-tête. "La première année, tout était simple car les démarches avaient été faites en Colombie. Mais pour renouveler mon titre de séjour, tout est devenu beaucoup plus compliqué," raconte-t-il. En effet, les étudiants doivent souvent naviguer sur des plateformes peu intuitives comme l’ANEF (Administration Numérique pour les Étrangers en France) et faire face à des délais interminables.
Une plateforme numérique pas à la hauteur
L’ANEF, censée simplifier les démarches, est régulièrement critiquée pour ses bugs et son opacité. Santiago partage son expérience : "J’ai déposé ma demande en juin 2024, et six mois plus tard, je n’avais toujours pas de réponse. J’ai dû relancer plusieurs fois sans succès." Cette attente, qui dépasse parfois les délais légaux, force les étudiants à vivre dans une sorte de flou administratif, les empêchant de bénéficier de certains droits, comme l’accès à un logement décent ou à des aides sociales.
La plateforme ANEF, en particulier, est souvent décrite par les étudiants comme un véritable labyrinthe numérique. Entre les bugs récurrents, les erreurs de synchronisation de documents et les messages contradictoires, de nombreux étrangers se sentent perdus et impuissants face à cette administration digitale. Ce système, loin de simplifier leur vie, devient un obstacle supplémentaire.
Quand tout ne se passe pas comme prévu : violences administratives
Les violences administratives ne se limitent pas à des délais excessifs ou à des erreurs techniques. Elles incluent aussi une forme de mépris institutionnel, comme le montrent les témoignages recueillis. Santiago, par exemple, a vu son dossier transféré entre plusieurs préfectures sans aucune explication. "J’habitais à Saint-Denis pour mon stage, mais lorsque j’ai déménagé à Dijon, mon dossier est resté bloqué là-bas. Quand je suis allé à la préfecture de Dijon, on m’a répondu que je prenais la place de quelqu’un d’autre." Cette situation l’a obligé à faire des allers-retours coûteux et stressants entre les deux villes, sans garantie de résolution.
Ces violences administratives, souvent invisibles, ont un impact réel sur la vie des étudiants. Elles créent une précarité permanente, une incertitude qui devient une source majeure de stress. Les jeunes étrangers doivent constamment se battre pour obtenir un droit fondamental : celui d’être reconnu et de pouvoir vivre et étudier dans le pays. Cela va bien au-delà de la simple frustration administrative ; il s’agit d’une violence institutionnelle qui s’attaque à leur dignité.
L’impact personnel et émotionnel
Cette instabilité administrative a des répercussions directes sur la santé mentale et le bien-être des étudiants. "C’est comme une bombe à retardement," confie Santiago. "Tu sais qu’un jour tout va exploser, mais tu ne sais pas quand. Cela génère une angoisse permanente." Cette pression est accentuée par les contraintes financières : sans titre de séjour, il est impossible de travailler légalement, et donc de subvenir à ses besoins de base.
Theodora, elle, évoque son stress lié à l’obtention de la carte Vitale. "Sans elle, je me demandais ce que je ferais en cas d’accident ou de maladie. Tout prend tellement de temps que cela devient angoissant." Cette attente interminable, couplée à l’incertitude de la situation, crée un climat de stress constant chez les étudiants étrangers, qui doivent jongler entre les examens, la recherche de logement, et des démarches administratives incertaines.
Des solutions pour pallier ces obstacles
Face à ces difficultés, des initiatives émergent pour accompagner les étudiants étrangers. Les universités, par exemple, mettent parfois en place des services d’aide juridique ou des cellules de soutien administratif. Cependant, ces structures restent limitées et inégales selon les établissements.
Les cliniques du droit : un soutien précieux
Inès, une étudiante en droit qui travaille dans une clinique juridique, témoigne : "Nous recevons beaucoup de demandes d’aide de la part d’étudiants étrangers, notamment sur des questions liées au droit des étrangers et à leur statut administratif. Beaucoup ne connaissent pas leurs droits, ce qui permet parfois aux administrations d’abuser de leur position." Ces cliniques aident à rédiger des recours et à débloquer des situations apparemment inextricables. "Une fois que les démarches juridiques sont lancées, tout semble rentrer dans l’ordre comme par magie," ajoute-t-elle.
Le rôle des associations
Des associations comme le GISTI (Groupe d’Information et de Soutien des Immigrés), l’Union des étudiants exilés ou le Réseau Étudiant International offrent également un accompagnement précieux. Elles organisent des permanences juridiques, des ateliers d’information et, dans certains cas, peuvent essayer interviennent directement auprès des préfectures pour accélérer les dossiers.
Un parcours du combattant à réformer et qui continue après les études
Étudier en France pourrait être une expérience enrichissante, mais pour de nombreux étudiants étrangers, cela se transforme en un véritable parcours du combattant. Entre démarches interminables, procédures opaques et précarité financière, ces jeunes sont souvent livrés à eux-mêmes, perçus comme une charge par les administrations plutôt que comme une richesse.
“Des efforts doivent être faits pour simplifier les procédures, rendre les plateformes numériques plus accessibles et mieux informer les étudiants de leurs droits”, confie Inès, qui après plusieurs années d’études en France, remet en question son avenir dans le pays, car elle craint de ne pas réussir à obtenir un titre de séjour pour travailler. Elle complète : “Les universités et les associations jouent un rôle crucial, mais il est temps que l’État prenne ses responsabilités pour nous garantir une expérience académique à la hauteur. Après tout, accueillir des étudiants étrangers, c’est aussi investir dans l’avenir et le rayonnement international de la France.”.