Les Roms, le “mythe du nomadisme”
✍️ Nesrine Bouzar, stagiaire journaliste chez Komune Média.
Aujourd’hui, on continue avec notre série sur les populations tsiganes. Au programme : les Roms sont-ils nomades ? Et que désigne l’appellation “gens du voyage” ?
La dernière fois, nous avions commencé à parler de l’histoire des Roms. Mais il y a quelque chose d’essentiel que nous n’avons pas mentionné : le nomadisme.
Dans l’imaginaire collectif, les populations roms - ou tsiganes - sont systématiquement associées à un mode de vie itinérant. Et les termes “Roms” ou “gens du voyage” sont utilisés indistinctement pour parler des uns ou des autres… alors qu’ils ne veulent pas du tout dire la même chose. Décryptage.
Terrain vague situé au niveau du jardin Pierre-Rous, rue de Périole. 1er janvier 1962.. Crédits : André Cros/ CC.
Une origine nomade
Les populations tsiganes, après avoir quitté l’Inde, ont sillonné les routes d’Europe et se sont dispersées en plusieurs groupes distincts. On leur prêtait, déjà à l’époque et dans certaines zones géographiques, une aura mystique : êtres mystérieux capables de voir l’avenir, à l’accoutrement envoûtant souligné par leurs grands anneaux aux oreilles et leurs tours de magie. C’est en tout cas ce que décrivent certains Parisiens du XVe siècle, comme on peut le lire dans le Journal d’un bourgeois de Paris, publié en 1427.
Pour autant, cette fascination ne dure pas longtemps. Ceux qu’on appelait “Bohémiens” - parce que certains venaient d’une région nommée Bohême en actuelle Tchécoslovaquie - étaient sans cesse renvoyés à des réalités stigmatisantes. On les accusait de petits vols et leur mode de vie nomade déplaisait. Très vite, ils sont confrontés à de violentes répressions - mises au ban voire exécutions.
Sous le règne de Louis XIV par exemple. Le roi-Soleil avait ordonné que tous les Bohémiens de sexe masculin soient arrêtés et envoyés aux galères, c’est-à-dire aux travaux forcés. Sans procès. Ses directives sont ensuite confirmées par l’ordonnance du 11 juillet 1682. Tous les “Bohémiens mâles” devront être arrêtés, leurs femmes rasées et leurs enfants enfermés dans des hospices. Les fiefs des nobles qui offraient l’asile aux “Bohémiens” étaient confisqués. Ce qui traduit d’un désir profond d’exclure les Tsiganes de toute vie sociale.
On pourrait croire que les Lumières ont contribué à insuffler une tendance moins discriminante. Mais non. La majorité des penseurs et philosophes universalistes - ceux-là même qui placent l’homme au centre de tout - se sont montrés particulièrement durs avec eux. Edme-François Mallet, théologien et encyclopédiste, écrivait même, pour définir le mot “Égyptien” : “espèce de vagabonds déguisés, qui, quoiqu'ils portent ce nom, ne viennent cependant ni d'Égypte ni de Bohème ; qui se déguisent sous des habits grossiers (...) qui rôdent çà et là, et abusent le peuple sous prétexte de dire la bonne aventure et de guérir les maladies, font des dupes, volent et pillent dans les campagnes”. Ce terme, souvent associé aux Tsiganes par une croyance populaire, devenait un prétexte supplémentaire pour alimenter les clichés.
Plus tard, au XIXe siècle, avec le courant artistique “romantique”, les “Bohémiens” ont acquis une image plus positive. Libres et vivant en dehors des carcans de la société. Aujourd’hui, il reste très compliqué de quantifier la portion des Tsiganes sédentaires. “Tsigane” reste un terme vague qui ne décrit pas avec précision les différentes communautés qui existent en Europe et il est difficile de les recenser. Néanmoins, on estime à 98% les communautés tsiganes sédentaires, depuis plusieurs générations.
Relevons qu’en Hongrie ou en Roumanie, les autorités leur donnaient des terres et des bêtes pour les pousser à s’installer durablement. Mais certains les revendaient aussitôt pour reprendre la route.
Campement de gens du voyage autour d'un bâtiment. Crédits : Lionel Allorgue/ CC.
Les “Gens du voyage”, tsiganes ?
Quand on parle des Roms, en France, on les désigne souvent comme les “gens du voyage”. Faux. “Gens du voyage” n’est pas une expression synonyme de “nomade”, mais un statut administratif. Celui-ci a été défini par la loi du 3 janvier 1969 et concerne toutes les personnes vivant plus de six mois par an en résidence mobile terrestre. Elles doivent alors posséder un titre de circulation, à présenter régulièrement aux autorités, sous peine d’amende. “Gens du voyage” ne renvoie donc pas à une appartenance ethnique, qui n'existe pas en droit français.
Ce statut, jugé discriminatoire par de nombreuses associations, a été l’objet d'une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) en 2012. Jean-Claude Peillex, artisan forain du sud de la France, a saisi le Conseil constitutionnel pour dénoncer cette loi. En effet, les gens du voyage, avant la QPC, devaient justifier de trois ans de rattachement ininterrompu avant de pouvoir s’inscrire sur les listes électorales, contre six mois pour les autres citoyens, et risquaient une peine d’emprisonnement s’ils ne présentaient pas leur titre de circulation aux autorités.
Le Conseil constitutionnel a jugé ces deux mesures anticonstitutionnelles mais a maintenu l’existence des titres de circulation justifiant un but d’“’identification et la recherche de ceux qui ne peuvent être trouvés à un domicile” et n’institue “aucune discrimination fondée sur une origine ethnique”. En revanche, la loi imposait deux types de titre, carnet ou livret, selon les ressources, régulières ou non, des individus. Ceux qui ne disposaient pas de revenus stables devaient renouveler leur titre - un carnet - tous les trois mois. Une différence de traitement jugée contraire à la Constitution. Pas de victoire encore pour les associations de défense des droits de l’homme qui espéraient une abrogation totale de la loi.
Et pour cause, ces titres trouvent racine dans la loi du 16 juillet 1912 qui imposait aux "nomades" un carnet anthropométrique inspiré des méthodes de fichage d'Alphonse Bertillon, criminologue français. Ce carnet contenait des mesures précises - taille, longueur des membres, empreintes digitales, etc. - et devait être visé à chaque entrée et sortie d'une commune. Ce statut a facilité l'internement des Tsiganes sous Vichy et l'Occupation nazie.
Quelques années plus tard, le combat est enfin remporté avec la suppression du livret de circulation le 27 janvier 2017. Une victoire certes, mais un flou juridique qui subsiste. L’expression « gens du voyage » continue d’être utilisée dans les textes administratifs, comme en témoigne un décret de décembre 2019 relatif aux aires permanentes d'accueil et aux terrains familiaux locatifs des gens du voyage. Il précise les modalités d'aménagement, d'équipement, de gestion et d'utilisation de ces infrastructures.
Les politiques et les médias ont souvent assimilés “gens du voyage” à “Roms” pour servir leur agenda politique. Désigner une population prétendument nomade, qui ne se conforme ni ne s’intègre à la société, c’est pointer du doigt un bouc émissaire. Schéma courant qui ne vous est pas étranger. En attendant, il y a encore beaucoup de choses à explorer et nous n’avons pas pu couvrir l’ensemble du sujet.
Pour cela, on vous conseille les ouvrages de Jean-Pierre Liégeois, spécialiste des populations tsiganes, avec ses livres Roms et Tsiganes et Roms en Europe.