Le virage conservateur de Disney : profit ou progressisme ?
Bonjour à tous, moi c'est Lucas, étudiant et aspirant journaliste. Au fil des newsletters, je vous parlerai de ce qui me passionne, à savoir : les médias, l'antiracisme et le cinéma. Bonne lecture !
✍️ Lucas Bourguignon, journaliste stagiaire chez Komune.
Depuis l’investiture de Donald Trump le 20 janvier dernier, nombre de grandes entreprises américaines prêtent des gages de conservatisme au 47ème président des États-Unis d'Amérique. Parmi les patrons de Meta, d’Amazon et de Walmart, se glisse également le nom de Robert Iger - PDG de Disney - au banc des serviles courtisans de la maison blanche. Après son retour à la tête de la Walt Disney Company en 2022, le natif de New York a exposé sans détours ses principes. Ce dernier veut privilégier à tout prix la rentabilité de l’entreprise, et ce, quitte à s’éloigner du vernis progressiste qui définissait la firme depuis quelques années. Ainsi, il n’y a rien de surprenant à voir un homme aussi souple sur ses valeurs tenter de séduire les républicains fraîchement revenus aux affaires.
Un revirement assumé
À la suite des innombrables décrets réactionnaires annoncés par la nouvelle administration Trump, les dirigeants de plusieurs entreprises outre-atlantique ont épousé le mouvement général, et ont, à l’instar de Disney, réduit ou supprimé leurs programmes de diversité. Si cette décision suffit à elle seule à nous alarmer, elle s’accompagne de surcroît de modifications directes appliquées à leur plateforme de streaming Disney +. Et pour cause, le groupe a décidé de complètement rectifier le message de mise en garde qui accompagnait le début de certains de leurs métrages d’époque.
Il y a de ça quelques semaines, si vous décidiez de regarder certains classiques, comme Dumbo (1941) ou Les Aristochats (1970), sur la plateforme aux grandes oreilles, un message de prévention apparaissait pendant quelques instants. Ce dernier évoquait la présence de “stéréotypes” et de “traitement négatif des personnes ou des cultures”. Disney indiquait par cette annonce qu’ils souhaitaient reconnaître l’impact nocif de ces contenus et en tenir compte afin “de construire un avenir plus inclusif”. Aujourd’hui, ce prélude a été relégué à un simple avertissement au sujet de possibles “stéréotypes” ou “représentations négatives” qui n'apparaît plus que dans les informations détaillées de l'œuvre - section facilement snobée par le public.
Des oeuvres insufflées de stéréotypes
Et pourtant, ces œuvres ont sincèrement de quoi questionner. Dans Dumbo (1941), le jeune éléphanteau se fait aider de plusieurs autres espèces après avoir été séparé de sa mère. Parmi ces rencontres, un groupe de corbeaux interroge. Leur leader se nomme Jim Crow, référence directe au personnage principal d’un spectacle raciste ayant vu le jour au début du XIXe siècle. En 1877, ce personnage a donné son nom aux lois Jim Crow, lois ségrégationnistes promulguées aux États-Unis pour entraver les droits obtenus par les Afro-Américains au lendemain de la guerre de Sécession. Clou du spectacle, dans ce classique de Disney, Jim Crow est interprété par Cliff Edwards, un acteur blanc, qui prête au corbeau un accent clairement stéréotypé et exagéré.
Ainsi, malgré ces représentations préjudiciables, Dumbo et d’autres classiques aux déboires similaires sont restés accessibles au public. Cependant, on ne peut pas en dire autant de Mélodie du Sud, onzième long-métrage d’animation des studios Disney sorti en 1946. Dans cette œuvre mêlant animation et prises de vues réelles, on se retrouve, comme le titre l’indique, dans le sud des États-Unis et plus précisément dans une plantation de coton. Dans ce cadre au lourd passif, on suit les aventures d’un jeune garçon qui se lie d’amitié avec l’Oncle Rémus, un ancien esclave de la plantation. Au fil de leurs discussions, le vieil oncle conte à l’enfant les aventures de “Frère Lapin”, prétexte aux séquences d’animations précédemment évoquées. Véritable édulcoration de l’esclavagisme et de ses conséquences, ce film trimballe, qui plus est, son lot de clichés raciste ; ce qui explique pourquoi Disney s’est assuré qu’il ne soit plus disponible légalement depuis les années 90.
Le progressisme libéral existe-t-il ?
Face à ces exemples et à d’autres, vous pourriez m’opposer que Disney a depuis évolué, et heureusement, c’est le cas. Au fil des années, le papa de Mickey a fait du chemin sur les questions d’antiracisme, notamment en ajoutant ces fameux avertissements au début de ses classiques problématiques. Récemment est d’ailleurs sorti un nouveau live action des studios où Rachel Zegler, petite fille d’immigrés colombiens, interprète Blanche-Neige. Deux ans plus tôt, l’actrice d’origine afro-caribéenne Halle Bailey avait aussi su décrocher le rôle d’Arielle dans le remake de “La Petite Sirène”. Si ces exemples sont inspirants et figurent tout de même d’un certain progressisme, ils ne valent que peu si c’est pour rétropédaler en parallèle.
En portant atteinte à ses programmes d’inclusivité et en diminuant la prévention autour de ces métrages controversés, Disney prouve simplement la flexibilité caricaturale de ses engagements. Le fléchissement spontané à la montée des idées conservatrices expose tout bonnement l’opportunisme de ces entreprises libérales, pour qui le progressisme n’est, en fin de compte, rien de plus qu’un argument marketing. En troquant sa baguette magique d’inclusivité contre la rationalité du profit, Disney fait un constat : dans le conte moderne du libéralisme, l’opportunisme régit les règles de la féérie.