La Gaîté Lyrique au cœur de la tourmente : ce qu’il se passe vraiment
✍️ Jeannette Marié, directrice des publications de Komune Média
Il y a deux semaines, la Gaîté Lyrique, un lieu culturel parisien, a été au centre de l’attention médiatique. Entre témoignages, déclarations politiques et rumeurs infondées, il est parfois difficile de distinguer le vrai du faux. La situation a pris une telle ampleur qu’Elon Musk lui-même a relayé des fausses informations sur X (anciennement Twitter). Alors, que se passe-t-il réellement ? On vous explique.
400 jeunes en attente d’un hébergement digne
Depuis le 10 décembre 2024, environ 400 jeunes, organisés sous le nom du Collectif des Jeunes du Parc de Belleville, occupent la Gaîté Lyrique à Paris. À l’origine, ils étaient environ 200. Leur revendication est claire : un hébergement adapté et durable.
"Nous, notre revendication depuis le début, c'était d'avoir des logements dignes et pérennes", témoigne l’un des jeunes à notre micro.
Ces jeunes se déclarent mineurs non accompagnés (MNA). En France, lorsqu’un jeune étranger arrive seul et affirme être mineur, il doit passer un entretien de minorité avec un agent mandaté par le département où il se trouve. Cet agent évalue sa minorité et son isolement.
Si le jeune est reconnu mineur, il est pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE).
Si l’agent l’estime majeur, aucune prise en charge n’est prévue, mais le jeune peut contester cette décision en saisissant un juge des enfants.
C’est justement le cas des jeunes qui occupent la Gaîté Lyrique : ils sont en attente d’un jugement sur leur minorité. Le problème ? La procédure est extrêmement longue.
Un flou juridique et des délais interminables
Bruno Retailleau a affirmé sur X, le 28 février 2025, que la minorité de ces jeunes "n’a pas été reconnue". Ce n’est pas tout à fait vrai. Seul un juge des enfants peut statuer légalement sur la minorité d’un jeune, et non l’agent qui réalise le premier entretien.
"C’est un processus qui peut prendre six, sept, voire neuf mois", explique un des jeunes concernés. "Tous les jeunes ici ont des procédures en cours."
D’après une enquête de 2022 de la Coordination Nationale Jeunes Exilé.e.s en Danger, environ 60% des jeunes obtiennent finalement la reconnaissance de leur minorité après un recours (le taux varie en fonction des départements).
En attendant, ces jeunes sont dans un vide juridique total : ils ne sont pas pris en charge par l’État, mais ne peuvent pas être expulsés tant que le juge ne s’est pas prononcé. Ils se retrouvent donc à la rue, sans solution d’hébergement.
Une situation intenable pour les salariés de la Gaîté Lyrique
Les équipes de la Gaîté Lyrique ont fait face à une situation de plus en plus critique. Les employés ont choisi d’exercer leur droit de retrait, mais contrairement à ce qu’affirment certains médias, ce n’est pas à cause de violences sexuelles commises par les jeunes, comme l’a faussement relayé le Daily Mail le 27 février 2025.
“Depuis le premier jour de cette occupation, on est solidaires de notre direction qui a toujours agi en total de transparence sur l'intégralité des sujets, mais que maintenant, ça fait 80 jours, 7j/7, 24h/24, qu'on assure des gardes.
Ces gardes, elles sont au-delà de nos compétences et la situation nous dépasse entièrement. Aujourd'hui, maintenant, les équipes sont fatiguées, elles sont épuisées. Et suite à la promiscuité croissante, la situation qui est de plus en plus explosive, elles répondent par leur droit de retrait. Et aujourd'hui, on appelle à l'aide et on m'interpelle pour trouver une solution et un hébergement pour ces plus de 400 personnes isolées”, témoignent deux salariés.
L’occupation prolongée entraîne une promiscuité de plus en plus difficile, avec des incidents comme un départ de feu et des tensions internes. Mais les équipes de la Gaîté ne demandent pas l’expulsion des jeunes. Elles refusent de les rejeter à la rue et appellent à leur mise à l’abri.
Une prise en charge temporaire par la Mairie
Face à cette situation, un accord a été trouvé : la Mairie de Paris reprend temporairement la gestion et la sécurité du bâtiment.
Que va-t-il se passer ensuite ?
Début février, le tribunal administratif de Paris, saisi par la Ville de Paris, a ordonné l’évacuation des lieux avant mi-mars. Pour l’instant, on ne sait pas comment cette évacuation se déroulera. La Mairie insiste sur le fait que l’hébergement de ces jeunes relève de la compétence de l’État, pas d’elle.
Deux questions restent en suspens :
Où ces jeunes seront-ils relogés ?
Vont-ils être remis à la rue ?
Ce qui est certain, c’est qu’ils ne peuvent pas être expulsés vers leur pays d’origine tant que leur recours est en cours.
Retour à la normale… mais à quel prix ?
Les salariés de la Gaîté Lyrique espèrent retrouver leur lieu de travail et relancer leur projet culturel.
“On tient à ajouter que la première volonté des salariés de la Gaîté Lyrique, c'est aussi que ces jeunes soient mis à l'abri, mais aussi de revenir sur le travail et de reprendre le projet de la Fabrique de l'époque auquel on croit éperdument”, confie un employé.
L’affaire de la Gaîté Lyrique illustre un problème plus vaste : celui de la prise en charge des jeunes en attente de recours devant le juge des enfants en France. Et tant que des solutions structurelles ne seront pas mises en place, ces situations continueront de se répéter avec de nouvelles occupations.
En attendant, il est crucial de ne pas tomber dans le piège des fake news et de se baser sur les faits.
Affaire à suivre.
Très clair vos explications @komune! Espérons qu'il permettra effectivement de contrer les fakes et qu'il obligera les autorités concernées à respecter les droits de ces jeunes qui doivent être respectés et protégés. Si les procédures judiciaires pouvaient également être accélérées se serait mieux.
Toujours au top @komune 😉 Très claires ces explications. Je posais justement la question à Anna ce matin sur la situation à la Gaité !