Immigration et nouveau gouvernement : entre application des lois et nouvelles réformes ?
Je m’appelle Nesrine Bourekba et je suis journaliste stagiaire pour Komune Média.
Ayant un vif intérêt pour de nombreux sujets,notamment les discriminations liées au genre, à la religion, à l’origine ethnique ou à la situation administrative, je m’efforce de mettre en lumière ces problématiques. Aujourd’hui on va parler actualité avec la nomination d’un nouveau gouvernement mais surtout de l’impact que pourrait avoir la nomination de ces nouveaux, ou presque, ministres sur les questions et politiques liées à l’immigration.
✍️ Nesrine Bourekba, journaliste stagiaire chez Komune Média
Dix jours. C'est le temps qu'il aura fallu à François Bayrou, fraîchement nommé Premier ministre, pour composer un nouveau gouvernement et tenter de ramener un semblant de stabilité dans une scène politique fracturée. Ce délai, aussi court qu'intense, a abouti le 23 décembre avec l’annonce d’une équipe ministérielle qui, loin de rassembler, a suscité une salve de critiques. La nomination de Bayrou intervient après la chute du gouvernement de Michel Barnier, renversé le 4 décembre par une motion de censure, plongeant ainsi l’exécutif dans une crise inédite. Le contexte politique tendu, marqué par la dissolution de l'Assemblée nationale et une élection législative anticipée, a laissé un paysage parlementaire sans majorité claire, où le Rassemblement national (anciennement Front National) s’impose comme un arbitre incontournable.
La désignation du maire de Pau au poste de Premier ministre était censée ouvrir une nouvelle ère de dialogue et de compromis. Or, la composition de son gouvernement, qualifiée par certains d'« attelage bancal », révèle un équilibre précaire et une dépendance persistante aux jeux de pouvoir imposés par Marine Le Pen et ses alliés. Sur les 35 ministres nommés, une grande partie provient des rangs de l’ancien gouvernement Barnier, tandis que d’autres sont des figures macronistes de la première heure ou encore des ex-ministres des gouvernements Hollande. Cependant, aucun représentant actuel du Parti socialiste n’a été intégré, accentuant les critiques de la gauche, qui voit dans ce gouvernement une « provocation » et un signe supplémentaire de “droitisation” de l’exécutif.
À peine annoncé, ce gouvernement s’est retrouvé sous le feu des attaques. Les Insoumis, par la voix de Mathilde Panot, ont dénoncé une équipe remplie de personnalités « désavouées dans les urnes », tandis qu’Olivier Faure, premier secrétaire du PS, a fustigé un attelage « sous la surveillance de l’extrême droite ». Même du côté des anciens alliés de droite, les critiques fusent : Laurent Wauquiez, notamment, a dénoncé une sous-représentation de son camp et une méthode de gouvernance peu convaincante. En filigrane, l’influence grandissante du RN dans les décisions stratégiques de l’exécutif alimente toutes les tensions : si le parti de Marine Le Pen reste officiellement critique envers Bayrou, il n’en demeure pas moins un acteur clé dont le soutien implicite pourrait déterminer la survie de ce gouvernement.
François Bayrou lui-même ne semble pas épargné par cette dépendance. La nomination de figures controversées comme Bruno Retailleau à l’Intérieur ou Gérald Darmanin à la Justice est perçue comme un gage donné à la droite conservatrice et régalienne. Pourtant, ces choix divisent jusque dans les rangs du MoDem, le parti présidé par Bayrou, où certains s’inquiètent d’une perte de vision et d’autonomie politique face aux exigences des alliances croisées.
Derrière ces luttes de pouvoir, c'est une autre réalité qui inquiète : les conséquences concrètes de ces décisions sur les grandes politiques publiques, notamment sur les questions liées à l'immigration. Ce thème, omniprésent dans le débat national et souvent instrumentalisé, pourrait devenir un terrain de confrontation central entre le gouvernement et ses oppositions. Bien que le RN n'exerce pas un pouvoir direct, son influence idéologique imprègne les choix de l'exécutif, renforçant l’hypothèse d’un durcissement sévère des politiques migratoires et sociétales. Le premier test pour ce gouvernement sera d’adopter un budget capable de réunir une majorité, mais au-delà de cet enjeu immédiat, c’est la capacité à renouer avec une vision ambitieuse et inclusive qui semble à ce jour compromise.
François Bayrou, Premier ministre, s’est exprimé sur la question de l’immigration, appelant à une approche pragmatique et écartant l’idée d’une « grande loi » qui serait, selon lui, essentiellement destinée à de la communication politique. « Pas de grande loi, mais priorité à l’exécution et à l’application des mesures qui ont déjà été votées », a-t-il déclaré sur BFMTV.
Bayrou préconise un renforcement des pressions diplomatiques sur les pays qui refusent de réadmettre leurs ressortissants sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). « Il faut une mise en tension avec ces pays », a-t-il affirmé, insistant sur l’importance d’agir sur des problèmes concrets, tout en laissant aux assemblées le soin de proposer des textes ciblés.
Un empilement législatif sans fin ?
Malgré cet appel à la sobriété législative, la question de l’immigration reste au cœur des débats politiques. En effet, depuis 1945, la France a adopté 118 lois concernant l’immigration, soit une tous les deux ans en moyenne. Ces réformes successives, portées par des gouvernements de droite comme de gauche, n’ont pourtant pas réussi à apaiser un débat devenu central dès les années 1970. La dernière loi portée par Gérald Darmanin, censée apporter des réponses, a vu plusieurs de ses mesures censurées par le Conseil constitutionnel.
Retailleau : une nouvelle loi pour 2025
Dans ce contexte, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, prévoit de proposer une nouvelle loi sur l’immigration dès le début de l’année 2025. Parmi les mesures envisagées, il souhaite prolonger la durée maximale de rétention des étrangers sous le coup d’une mesure d’éloignement et réintroduire certaines dispositions censurées précédemment, comme la pénalisation du délit de séjour irrégulier.
Retailleau propose également de transformer l’Aide Médicale d’État (AME) en une aide d’urgence, estimant qu’elle constitue un « encouragement à la clandestinité ». Il souhaite conditionner les aides au développement des pays d’origine à une meilleure coopération sur les éloignements. Enfin, le regroupement familial serait également restreint.
Ces propositions, bien qu’appréciées par une partie de la droite, suscitent des interrogations sur leur conformité avec la Constitution et les traités internationaux. Le Rassemblement National (RN), tout en saluant certaines idées, reste prudent, attendant de voir les résultats.
Une influence européenne ?
Le débat français sur l’immigration s’inscrit également dans un contexte européen marqué par des approches divergentes. L’Italie, sous le gouvernement de Giorgia Meloni, plaide pour l’externalisation des demandes d’asile en dehors de l’Europe, une mesure qui pourrait inspirer certains responsables politiques français. Cette stratégie est critiquée par des organisations de défense des droits de l’Homme.
En France, des propositions similaires ont déjà émergé, notamment sous la forme de centres hors du territoire européen pour examiner les demandes d’asile. Ces solutions, souvent perçues comme des compromis politiques, posent cependant des questions juridiques et éthiques, notamment en matière de respect des droits fondamentaux.
Immigration, vers un consensus impossible ?
L’accumulation des réformes et la multiplication des propositions témoignent de la difficulté à trouver un consensus sur une question aussi sensible. Entre une extrême droite qui alimente les peurs, une gauche divisée sur les solutions à apporter, et un gouvernement oscillant entre fermeté et pragmatisme, le débat reste polarisé.
Alors que la loi Retailleau se prépare à entrer dans l’arène parlementaire, la France continue de chercher un équilibre entre humanité et sécurité, sans pour autant éteindre la controverse qui anime la société depuis des décennies.
Crédits photo : Jacques Paquier (Flickr), prise le 23 novembre 2017.