Derrière les clichés, la réalité des Roms en Europe
Je suis Nesrine BOUZAR, journaliste stagiaire chez Komune. Aujourd’hui, j’écris sur une (autre) minorité, méconnue et stigmatisée par le grand public : les Roms. Le but (re)découvrir ces populations loin des clichés tenaces dans lesquels on les enferme.
✍️ Nesrine BOUZAR, journaliste stagiaire chez Komune Média.
Ils sont entre 10 et 12 millions en Europe, formant ainsi la plus grande minorité ethnique du continent et pourtant, ils restent largement méconnus. D’où viennent-ils ? De Roumanie probablement. Quelle langue parlent-ils ? Personne ne le sait vraiment. Où vivent-ils ? Dans des bidonvilles ou sur la route, dans leurs caravanes. Tantôt voleurs, tantôt êtres mystiques, diseurs de bonne aventure, zoom sur des communautés (beaucoup) stigmatisées et (un peu) fantasmées : les Roms.
Qui sont les Roms exactement ?
“Rom” est un terme endogène, c’est-à-dire qu’il a été choisi par les communautés elles-mêmes pour s’autodésigner. Avant, on utilisait plutôt l’appellation “Tsigane” mais elle était perçue négativement par les populations concernées. Certaines théories relient ce phénomène au génocide dont ils ont été victimes durant la Seconde Guerre Mondiale. Alors, en 1971, lors du Premier congrès international des Roms, les différents partis présents, dont l’Union romani internationale - ONG qui défend les droits des populations roms - ont adopté officiellement le terme “Rom”. Il vient du romani et signifie “homme accompli et marié au sein de la communauté”.
Béatrice Turpin, maîtresse de conférences en sciences du langage à l’université de Cergy-Pontoise, explique : “le romani n’est pas une langue uniforme. Elle est constituée de variétés dialectales à partir d’une langue commune proche du sanskrit” - le sanskrit étant une langue parlée par une petite minorité dans le nord de l’Inde et quelques érudits. Elle tend à disparaître aujourd’hui.
Les Roms viennent donc d’Inde, plus précisément du nord de l’Inde. Cette affirmation est prouvée non seulement par la génétique - d’après l’UWA, plus ancienne université d’Australie-Occidentale, leurs caractéristiques génétiques permettent de démontrer leur origine indienne qui remonterait à une quarantaine de générations - et par la linguistique, comme nous l’avons vu. Ils migrent au Moyen-Âge, voire un peu avant, indique Béatrice Turpin : “ils ont quitté l’Inde à la suite de guerres et de persécutions par des envahisseurs à l’endroit où ils résidaient”. Et de préciser : “ils faisaient certainement partie de la caste des “intouchables”.
De l’Inde, ils se séparent en plusieurs groupes et se dirigent vers différentes zones géographiques : de l’Iran à la Bulgarie en passant par la Turquie, la Hongrie et l’Espagne. Aujourd’hui, on les distingue en trois grands peuples :
les Roms, terme générique mais qui s’applique plus précisément aux populations installées en Europe de l’Est, au Proche-Orient, en Amérique et en Australie,
les Manouches ou Sintis, que l’on retrouve principalement en France, en Italie, au Benelux et en Allemagne,
les Gitans qui vivent en Espagne, dans le sud de la France et au Portugal.
Ces termes restent très nébuleux mais, en clair, les Roms, ce sont tous ces différents groupes, même si chacun s'associe à une identité particulière. Seule petite nuance, les “Roms”, quand on parle du premier groupe que l’on cite plus haut, ne répondent qu’à cette unique appellation. Selon Romeeurope, ils représentent 85% de la population globale quand les Gitans sont environ 10% et les Manouches, 4 à 5%.
Maintenant que nous avons défini plus clairement ces termes, nous allons nous concentrer sur les Roms d’Europe de l’Est.

Un parcours semé de… répressions
Au cours des siècles, les Roms n’ont pas eu la vie très facile. En Roumanie, ils sont vendus en tant qu’esclaves à deux monastères à partir du XIVe siècle. Ils jouissaient néanmoins d’un statut légèrement différent des autres esclaves. Par exemple, ils pouvaient avoir des possessions, se marier et même racheter leur liberté, parfois pour la revendre ailleurs. C’est de là que viendraient la tradition de certains Roms de porter de l’or bien visible, sous forme de colliers, de bijoux ou de dents : afin d’arborer fièrement leur émancipation.
Cette partie de l’histoire, peu évoquée en Roumanie, a creusé les fondations d’un racisme profond et encore dominant dans le pays. Paul Vogel, étudiant en deuxième année de géographie, est franco-roumain par sa mère. La Roumanie, il l’adore. Il y va chaque année pour y passer l’intégralité de l’été, et parfois l’hiver. Il raconte que dans le village de sa grand-mère maternelle, en Valachie, région proche du Danube, il y a beaucoup de Roms et les deux communautés - Roms et Roumains - ne se mélangent pas. “Il y a un racisme Roms-Roumains. C’est rare que des Roms et des Roumains traînent ensemble dans le village. Je ne saurai pas dire pourquoi.”
Pourtant, l’histoire de sa famille s’entremêle étroitement à celles des Roms : “Ma grand-mère, dans les années 60-70, pendant le communisme, avait accueilli une famille rom parce qu’ils n’avaient plus de maison. Depuis, ce sont nos amis.” Il semblerait exister ici une frontière, plus ou moins poreuse.
Roxanne Pischot, Roxanna à l’origine, chercheuse retraitée au CNRS, a vécu à Bucarest, la capitale roumaine, jusqu’à ses 17 ans et elle partage le constat de Paul : “en Roumanie, ils (Roms) avaient quand même une mauvaise réputation. Même s'il y en a plein qui étaient devenus sédentaires ou qui avaient un job”. Aujourd’hui, elle n’arrive toujours pas à expliquer cette haine latente mais elle s’interroge : “les Roms sont toujours restés fermés sur eux-mêmes. Est-ce que c’est le rejet qui a fait qu’ils sont restés fermés sur eux-mêmes ou pas ? C’est vrai que les Roumains, d’une manière générale, n’aiment pas les Roms.”
Musique manele, genre musical rom, particulièrement populaire en Roumanie.
Difficile de remonter à la genèse de ce racisme. Et il n’a pas l’air d’aller en s’améliorant. Roxanne est arrivée en France en 1978, elle se rappelle qu’ “à l’époque, la Roumanie, on n’en parlait absolument pas dans les médias. Quand je voyais un article sur la Roumanie, c’était quelque chose d’exceptionnel”. Tout a changé au moment de la Révolution roumaine, en 1989, et du coup d'État pour renverser le régime communiste du dictateur Nicolae Ceaușescu. Elle a provoqué une grande vague migratoire de Roumains et de Roms, “tout le monde est venu en France en pensant que les lingots d’or allaient tomber du ciel”.
Les Français redécouvraient les Roms et, par la même occasion, semaient de nouveau les graines de stéréotypes bien ancrés de nos jours. L’ancienne chercheuse déplore : “après cette arrivée massive de Roms, je me suis rendue compte que 90% des gens font un amalgame énorme entre les Roumains et les Roms”. Une situation dont elle a beaucoup souffert car son identité, qu’elle revendiquait fièrement, se retrouvait sans cesse renvoyée à des clichés dégradants. Voleurs, profiteurs du système, sans-abris, mendiants. “Plus ça allait et moins j’avais envie de dire que j’étais roumaine”.
Paul, lui, se positionne différemment. Il déclare qu’en tant que franco-roumain, il ne s’est jamais senti discriminé en raison de son origine, “au contraire, c’est stylé. Même quand je dis que je parle roumain, les gens trouvent ça stylé la plupart du temps”. Du racisme, il n’en a jamais rencontré “à part les fois où c’est des blagues et ça ne me dérange pas tant que ça”. L’étudiant de 19 ans se remémore ses années collèges où tout le monde se taquinait : “quand mes potes me voyaient arriver, ils fermaient leur trousse. C’était drôle”. Derrière cet acte presque innocent entre jeunes adolescents se cache une réalité moins joyeuse. Et Paul en est conscient : “il y a une sorte d’idée générale que les Roumains, ce sont les voleurs en Europe”.
Béatrice Turpin, qui a analysé pendant longtemps les discours médiatiques qui parlaient de la communauté rom, détaille ce phénomène : “il y a eu une vague de discours stigmatisants après l’entrée de pays de l’Est dans l’UE avec l’ouverture des frontières. Nicolas Sarkozy s’en est fait le porte-parole. Ensuite la question des Roms a été reprise dans les médias, particulièrement de droite à l’époque. Cela a certainement encouragé les discours de stigmatisation”.
Selon elle, les origines de ces stéréotypes - Roms = sales, fainéants, voleurs, non-intégrables à la société - sont très anciennes et sans doute dues “au mode de vie originellement itinérant. Ce qui est ressenti comme différent paraît étrange et suscite la méfiance”. La maîtresse de conférence poursuit en indiquant que “la pauvreté pousse aussi à la mendicité ou au vol. Les riches aussi peuvent voler, mais pas de la même manière”. Béatrice Turpin relativise tout de même : “actuellement, dans le discours public, il me semble que les Tsiganes sont moins stigmatisés”.
Une lutte constante
Luc Bolssens, président de l’association bruxelloise Romenrom, travaille depuis 2010 avec plusieurs familles roms. “J’ai commencé à fréquenter les familles roms qui venaient nous voir, qui nous ont sollicité pour obtenir l'aide sociale, pour remplir des documents”. De là est né son combat pour reloger ces familles et les aider à s’insérer dans la société, au-delà des clichés : “bien que personnellement, je ne me le dise pas, je savais qu'il y avait quand même des a priori très négatifs vis-à-vis des Roms, des Gitans, etc.”

L’ex-travailleur social distingue trois catégories de Roms dans la partie de Bruxelles où il travaille :
D’abord “une grande partie des Roms-roumains qui ont profité de l'immigration à l'époque du communisme et qui ont eu l'aide sociale, qui ont été aidés pour s'installer dans des maisons et qui sont plus ou moins intégrés dans le tissu social.”
Puis, il y a les Roms-slovaques. Eux aussi ont quitté leur pays pour fuir le communisme et, si certains ont dû suivre un parcours similaire à celui des Roms-roumains, ceux que Luc côtoie ont eu un parcours assez pénible. L’homme dépeint un quotidien “de squats, de vie à la rue, d’accueil en centres Fedasil”.
La troisième catégorie dont parle le retraité est également celle qui alimente le plus les clichés. “Ce sont essentiellement des Roms-roumains, éventuellement bulgares, qui viennent en saisons désignées pour faire la manche et récolter quelques sous, pour simplement avoir de la nourriture” explique Luc Bolssens.
Les aides sociales en Roumanie, en Bulgarie ou en Slovaquie sont très faibles, ce qui explique leur déplacement ponctuel dans d’autres pays européens. “C'est une façon d'améliorer un peu la situation”, conclut le président de l’association.
Évidemment, cette tendance va être instrumentalisée pour désigner les Roms comme une minorité “problématique”. “Et donc, à leur propos, dans la presse, il arrive assez souvent qu'on ait des blablas du style : ce sont des profiteurs, ils viennent en Belgique pour prendre l'argent des Belges”. En fondant son association, Luc voulait également inverser cette manière de raisonner. S’il déclare qu’à Bruxelles, plusieurs communautés distinctes vivent ensemble dans la tolérance, il lui est tout de même arrivé de croiser certains commentaires “pas très élogieux”. Il raconte : “on travaillait avec une famille et on essayait de les intégrer à l'école. Un gars de la commune a eu des propos déplaisants, du style : ils ne sont pas faits pour l'école”.
Et c’est là toute la racine du problème pour Luc. Il raconte que les familles avec lesquelles il travaille vivent souvent toutes ensemble dans un même logis. Cela peut monter jusqu’à une trentaine d’individus, enfants compris, qui se partagent un même espace. Pour le président, ce mode de vie consolide leur exclusion de la société mais, surtout, pénalise les plus jeunes qui ne vont pas à l’école. “C’est une façon aussi de lutter contre ce racisme : pousser les parents à mettre les enfants régulièrement à l'école et d'assurer le suivi”. La scolarisation des plus petits occupe donc une place centrale dans son travail, un combat que partage l’avocate et écrivaine française d’origine rom, Anina Ciuciu. Engagée en faveur du droit à l’éducation pour tous, elle souligne l’importance de l’école comme levier d’inclusion, un enjeu qui a marqué son propre parcours.
En attendant, il est essentiel de se renseigner sur ces populations et de déconstruire les clichés à leur égard. Encore. Un travail de longue haleine, parfois répétitif, mais nécessaire.
🗓️ Une bonne occasion de commencer : le 8 avril sera la Journée internationale des Roms. Autour de vous auront lieu des évènements pour célébrer cette très large culture, ouvrez les yeux !
🎭 Saviez-vous que de grands noms du monde artistique étaient des Roms ? Yul Brynner et Charlie Chaplin avaient tous deux des origines roms. Django Reinhardt a été l’un des précurseurs du jazz manouche.
🧐 Vous avez remarqué que nous n’avons pas du tout parlé des “gens du voyage” ? Le sujet des Roms est très vaste et fera l’objet de plusieurs newsletter. Restez attentifs !